Samedi 11 mai, nous sommes au campement Balingho d'Ethiolo. Prêts à partir découvrir les fêtes Bassaris. Mais une autre cérémonie nous attend au préalable : l'explication par Balingho lui-même aux traditions d'initiation. Et nous voilà réunis autour de la table pour écouter la bonne parole. Une table où cohabitent une véritable centrale de recharge téléphonique (profitons-en tant que l'onduleur fonctionne...)...
et les illustrations "d'époque" que nous fait passer Balingho pour appuyer son propos.
Je vous la fais courte... La sortie de la classe d'âge adolescente des 14/16 ans s'accompagne pour les jeunes garçons Bassaris de rites d'initiation très codifiés et où les esprits jouent un rôle fondamental. Représentés par des masques constitués d'un disque de raphia et couverts de boue ocre, ils sortiront le deuxième jour des bois et combattront les jeunes. Chaque jeune devra faire 2 combats contre 2 masques, généralement, mais pas toujours, gagnés par les masques. Le combat et la défaite symbolisent l'entrée dans l'âge adulte. Les initiés devront ensuite passer une nuit dans le "bois sacré" où le "père-caméléon", leur révèlera les secrets du peuple Bassari et fera de chacun d'entre eux un homme, et surtout un "fils du caméléon", leur totem sacré. Ensuite, car ce n'est pas fini... Mais je vous raconterai la suite plus tard... Enfin... ce que j'en connais, car les secrets sont bien gardés dans le peuple Bassari...
Il est temps de monter sur le champ des fêtes, déjà bien rempli... Les danses vont commencer et se poursuivre une bonne partie de la nuit.
Ça y est... Les groupes de danseurs arrivent avec des représentants des différentes classes d'âge. Peut-être ceux qui passent d'une classe à l'autre (chacune couvre 5 ou 6 ans)
... suivis par les futurs initiés, en blanc. La modernité n'est pas absente, loin s'en faut... Adidas, Fly Emirates et autres marques incontournables sont aussi invités à la fête.
Et tout le monde danse au rythme des sifflets...
et au son aigrelet d'une flûte en terre.
La ronde continue autour du champ, autour de nous, sans jamais s'arrêter, lancinante...
puis s'accélère, ralentit, et repart de plus belle
sans répit, et pourtant qu'il fait chaud et qu'il fait soif...
Les jeunes fatiguent, mais pas question de le montrer... Et ne me demandez pas pourquoi ils ont des CFA accrochés aux nattes par un épingle à nourrice. Il doit y avoir une raison mais je ne la connais pas...
Certains danseurs plus âgés se font offrir à boire. Eau ou vin de palme??? Le gobelet ne le dit pas...
... mais ils ont l'air d'aimer ça...
Et c'est reparti pour un tour, sous l'oeil intéressé de Denis. Denis est un sénégaulois (au bon sens du terme). Il vit dans ce pays depuis très longtemps, y possède des campements (comme celui de Salemata) et une auberge près de Dakar. Mais surtout, il est très attaché à cette région où il a créé et gère un internat et s'occupe de diverses associations. C'est un puits de science sur les rites et les fêtes Bassaris où il traîne ses guêtres depuis plusieurs décennies. Et nous lui collons aux basques, avides de ne rien manquer et de comprendre un peu mieux ce qui se passe autour de nous...
Le nombre de touristes se compte sur les doigts des 2 mains. Je devrais plutôt dire, le nombre de toubabs, car à part nous et peut-être une demi-douzaine de vrais touristes, les blancs présents sont plutôt des intervenants locaux comme Denis. On pourrait peut-être d'ailleurs se passer de certain(e)s..
En revanche, on compte beaucoup de spectateurs sénégalais, Bassaris, Peuls, mais aussi venus de Dakar ou d'ailleurs...
Des jeunes filles branchées... voire influenceuses ou rêvant de l'être...
Même la jeunesse sénégalaise dorée est là...
...à côté des super mamas à super coiffes. C'est bien simple, il y a autant de formes et d'architectures de coiffes que de femmes présentes (nous exclues bien sûr)
Et ça siffle et ça danse! Et ça danse et ça siffle!!!
Et la flûte se déchaine...
Et les chevreaux paient un lourd tribu à la nuit qui se prépare...
Et les danseurs dansent, encore et toujours, pour notre plus grand plaisir...
... dans leurs costumes, qui hésitent entre rasta et Jean-Paul Gautier...
De dos comme de face...
...je les trouve tous très beaux. Non? Qu'est-ce que vous en pensez les filles???
L'après-midi touche à sa fin. Les ombres s'allongent. C'est la magic hour pour les photographes...
Il est l'heure de rentrer chez Balingho. pour nous...
Et pour d'autres, celle de monter leur lit pour passer la nuit sur le champ de fête.
Notre nuit chez Balingho sera plus calme. Mais pas la soirée...
Elle commence par une sortie nocturne à pied de Gabrielle et moi jusqu'à l'épicerie la plus proche, accompagnées de Jean, l'un des fils de notre hôte, pour ramener de l'eau minérale fraîche (c'est une journée où nous avons eu soif du matin jusqu'au soir...), une épicerie soi-disant à 100 mètres de là, mais en fait à un bon kilomètre de piste, où nous devons attendre que le tenancier ait fini ses prières, pour ramener 3 pauvres grandes bouteilles à moitié fraîches.
Elle se poursuit par un clash entre Didier et un (faux?) couple insupportable qui l'accuse de leur avoir piqué un matelas et passe l'heure et demie qui suit à râler, faire des allers retours, et parler toujours plus fort en installant leurs lits à l'extérieur de leur case. Juste à côté du mien sur lequel je tente depuis la même heure et demie de m'endormir à la fraîche...
Du coup, comment se termine la soirée à votre avis quand ma réserve de patience et de tolérance atteint ses limites ???? No comment... et le silence revient, jusqu'au matin...
Petit déjeuner matinal et minimaliste sous le manguier...
Nous sommes déjà dimanche et il est temps de remonter sur le champ des opérations. Il ne faudrait surtout pas rater le clou de la fête. Le moment où les masques sortiront de la forêt pour venir combattre avec les futurs initiés...
Pour l'instant, les pères et les anciens préparent les boucliers avec lesquels les jeunes combattants tenteront de parer les assauts des masques.
C'est aussi l'heure où les anciens lisent l'avenir de chaque futur initié dans la couleur des testicules des coqs sacrifiés pour l'occasion. Je vous jure que je n'invente rien... Noir, c'est pas bon, blanc, c'est mieux...
Les plumes, elles, serviront de parure pour les initiés à la sortie du bois sacré...
Rappelez-moi de ne pas me réincarner en volaille!!!
La foule s'est densifiée. Boubous et coiffes sont au top!!!
Il y a celles qui viennent voir la famille, les amis, un petit fils ou un neveu prêt pour l'initiation. Mais aussi celles qui préparent à manger pour tout ce petit monde...
... et qui ne ménagent ni leur peine ni leur farine.
Quel beau sourire et quel beau slogan!!! Girls are the future, c'est bien vrai!!!!
Mais voilà que ça bouge de ce côté. Les gamins qui guettent les masques semblent avoir vu quelque chose...
Denis aussi est sur le coup. Rapprochons-nous. C'est par là que ça va se passer...
Les voilà!!!! Ils descendent de la forêt, précédés des anciens... Ils paraissent innombrables. Normal! S'il y avait environ 30 initiés, il y a 60 masques...
Vision saisissante et qui fait se dresser les poils sur les bras. Il faut imaginer la clameur, les sifflets, les ricanements hystériques et les cris perçants des masques.
La descente n'en finit pas dans une cohue indescriptible. Tout le monde veut les voir, les approcher au plus près, les photographier ou les filmer. Mais la troupe des gardiens du rite leur ouvre la voie , et repousse les spectateurs, parfois un peu vigoureusement. Bonjour les ronces, les branches et les troncs sur le passage... Tous les participants et leurs bâtons sont enduits de rouge latérite et je me rends compte que le rouge me gagne, de la paume de la main qui tient l'appareil aux bras et aux cuisses qui sont entrés en contact avec un bras, une cuisse ou un bâton de ceux qui nous frôlent et nous bousculent.
Même le curieux hublot au centre du disque est couvert de pâte de terre rouge pour rendre le mystère encore plus épais et déshumaniser le masque.
Quand il n'y en a plus, il faut en remettre...
Et hop! Un petit coup sur le pare-brise, mais pour le salir pas pour une fois...
Circulez, y' a rien à voir. Le mystère est total...
La colonne des masques est enfin arrivée sur le champ de fêtes...
À l'avant, un curieux personnage porte un masque anthropomorphique en terre ou en bois (?). C'est lui qui guide la procession depuis le début. Mais il chancelle, trébuche, tombe parfois à genoux. Que représente-t-il? Peut-être le sorcier ou le bouffon, en tous cas une force ou une faiblesse plus humaine... On l’appelle le vieux masque. Et il n’est pas exclu qu’il soit un peu “cadavéré” (l’expression consacrée pour dire qu’il est bourré).
Vus de près, les masques sont tous différents et magnifiques...
Vus de dos, ils se ressemblent tous, l'arrière de la tête et les épaules couverts d'une gangue de raphia enduite de boue ocre. Difficile de savoir, même pour ceux qui les connaissent, qui est enfermé sous cette carapace et derrière le masque. D'ailleurs, personne ne doit savoir...
Évidemment, il ne faut pas les voir de TROP près...
Ni regarder les pieds... Un esprit en sandalettes ou pire, en méduses, ça casse l'image...
Mais il est facile de se laisser reprendre par la poésie et le mystère...
... d'autant que la ferveur du public, les cris des esprits et la chaleur qui monte favorisent l'émotion et la sensation d'étrangeté et d'ailleurs...
Ciel, les masques m'entourent avec leurs ricanements de hyènes...
Mais non, ils repartent et poursuivent leur ronde... Ça va bientôt être l'heure des combats!
Les femmes profitent du spectacle. Car elles (nous toutes) vont être privées de la suite...
Ça y est! Les masques quittent le terrain de la place pour aller rejoindre le champ de bataille où les attendent les futurs initiés, leurs pères et les anciens.
Les femmes n'ont pas le droit d'assister aux combats. Longtemps, ils ont été très violents et sans retenue. Peut-être était-ce pour préserver leur sensibilité de mères? Ou bien parce que cette partie du rite est trop testosteronée?... Ou bien parce que les hommes ont besoin de préserver leur pouvoir et que détenir des secrets est la plus sûre des manières de garder le pouvoir? Bref, impossible pour nous de suivre ces messieurs. Nos 3 compères ont d'ailleurs failli ne pas y être invités non plus. Les anciens avaient décrété cette année que seuls les Bassaris initiés auraient le droit d'assister aux combats.
Mais c'était sans compter avec Balingho, le vieil ami de Didier, qui a fait intervenir le chef du village. Et hop!
Nous sommes donc restées entre femmes, à acheter des colliers et boire des coups...
... tandis que les hommes partaient faire leur petite vie d'hommes virils et combatifs. Il faudra, comme nous, vous contenter de planches explicatives pour savoir ce qui s'est passé. Vous n' auriez pas eu de photos de toutes façons, je ne les aurais pas montrées. Mais elles n'existent même pas, car les photos des combats sont strictement interdites, depuis que des petits malins les ont publiées sur les réseaux sociaux.
D'après mon informateur et mari préféré, les combats ne durent guère plus que quelques secondes ou une poignée de minutes. Le jeune se précipite, machette en bois au clair et bouclier à l'autre main, sur le masque qui, la plupart du temps l'évite et lui assène un coup de badine. Avant, au 2ème assaut (quand il y en a un), de l'empoigner pour le balancer au sol. Jeu set et match... Pas étonnant quand on voit la disproportion entre David et Goliath. Mais rappelez-vous, c'est David qui a gagné et comme lui 2 jeunes ont remporté un de leurs 2 combats, déclenchant une clameur de tous les diables. Et il y aurait même eu pas mal de matchs nuls.
Tout le monde est revenu. C'est l'heure de se rafraîchir (ou de se désaltérer un court instant...)...
Et c'est l'heure des cadeaux. Chaque père de futur initié a dû, selon la tradition, construire 2 cases sur la place des fêtes. L'une pour les invités et l'autre pour les cadeaux qui seront offerts aux masques. Le moment est venu...
Chaque initié accompagne les 2 masques contre lesquels il a combattu...
jusqu'à sa famille.
Les cadeaux sont prêts...
Les masques aussi...
Et voilà l'offrande, une sorte de gâteau brun qui se présente comme un pain de sucre et se fragmente en morceaux. Et des poignées de billets.
Bien polis, les masques remercient.
Vous connaissez Henri-Claude? Il a envie d'y goûter (et moi aussi d'ailleurs) et il fait ce qu'il faut pour. Mmmmmmh, c'est bon. Comme un turron souple d'arachide... On en reprendrait bien mais on n'ose tout de même pas. Même Henri-Claude a ses limites...
Voilà les officiels maintenant... ils seraient pas un peu arrivés après la bataille???
Mais ils n'ont pas tout perdu... Thioni, le chef du village, leur explique tout, le bouclier, le bâton...
... les fusils pour annoncer la sortie des masques et, peut-être le début des combats. Bon, là maintenant, ça suffit, on se calme...
Je blague... Il était pas chargé!!!
Henri-Claude se console comme il peut de ne pas avoir été pris en photo ni avec les masques ni avec les militaires.
Mais je ne peux tout de même pas clore cet épisode épique sur une image aussi consternante... Tchao les masques!!! Ils sont en train de s'éclipser de toutes façons et de se retrouver un peu plus bas. Ils ne vont pas tarder à aller semer la terreur pour rire dans le village d'Ethiolo. Mais pour l'instant, ils enlèvent leur disque et plus question de les prendre en photo ou de les filmer. On pourrait s'apercevoir que ce ne sont pas des esprits et, pire, les reconnaître...
Il ne nous reste plus qu'à retourner au campement, commencer à choisir les photos pour le blog...
boire avec délice un petit thé à la menthe
boucler nos valises et faire nos adieux à notre hôte, Balingho.
Direction Salemata et le campement Peluun de Denis...
Sa magnifique salle de restaurant...
... ses toilettes (rien ne vous sera épargné!!!)
... et nos lits que nous installons à l'extérieur sous le grand manguier. Je serai finalement seule à y passer la nuit. Henri-Claude préfère décidément avoir un toit sur sa tête... C'est vrai que le vent souffle fort une fois le soleil couché et que le risque de chute de mangue n'est pas nul. Mais aucune n'est tombée sur moi... Coup d'bol!!!
Et si je m'arrêtais là... Il reste à raconter la sortie du bois sacré pour les 3 groupes d'initiés des 3 villages Bassaris, Ethiolo, Enissira et Ebarak. Il n'y en a qu'un pour les 3, il est à Ebarak où nous nous rendons lundi matin. Mais il faudra attendre un peu pour connaître la fin de l'histoire, les amis...
Ce soir ou demain matin. Nous avons 750 kilomètres à faire en 2 jours pour reprendre notre avion à Dakar demain soir 15 mai... Je profiterai des pauses...
Si je me réveille....
Comptez sur moi... À suivre...
Quelle chance exceptionnelle d,avoir pu assister à ce spectacle coloré et apparemment authentique !Ces fêtes rituelles sont généralement fermées aux touristes et photographes de tout poil! Encore bravo aux talents conjugués de Catherine et Henri Claude qui nous en mettent plein les yeux et l,imagination! On a eu la chaleur,la poussière et la soif qui ont accompagné notre lecture émerveillée et amusée !! Bon retour chez les ibères...jusqu'au prochain reportage!
Ce n'est plus un simple blog mais une vraie plongée en "voyage en terre étrangère ". Bravo, encore et encore...
Tu devrais pouvoir capter un peu de mouvement et de son...
MERCI !