Hier soir lundi, nous avons goûté à nouveau aux joies du confort au campement Mako : air climatisé et vraie douche, sans parler de la cuisine de Mamadou, presque raffinée en comparaison des menus basiques des 3 derniers jours. Prendrais-je de l’âge??? J’y attachais moins d’importance avant…
Mais ça c’était hier soir… Je m’égare dans le temps. J’avance beaucoup trop vite…
C’est d'hier matin que je veux vous parler… Lorsque nous avons pris la piste pour Ebarak et son bois sacré. Pour boucler avec Urbain, dans son fief, la boucle des fêtes d’initiation Bassari…
Le voilà justement Urbain, qui nous présente sa nièce Léa, vendeuse de sodas bien frais... Ravis de vous connaître Léa, nous allons bien nous entendre...
... surtout si vous commencez par nous amener des chaises! Quel sens de l'hospitalité!!!
Il faut dire qu'à part les joueurs de tambour, des initiés de l'an dernier, qui paraît-il se relaient sans interruption depuis hier soir sous l'un des grands fromagers, jusqu'à ne plus sentir leurs doigts, il ne se passe pas grand chose sur la place des fêtes d'Ebarak. Autant ménager nos articulations...
Les vendeuses sont déjà à leur place, plus ou moins achalandées...
... armées de leurs stocks de mangues...
de leurs glacières et de leur patience inépuisable...
Et toujours de leur petit tabouret portatif.
Certaines de ces vendeuses ont charge d'âmes. Je vous rassure, ce bébé qui dort paisiblement après sa tétée n'est pas à vendre... Dommage! On l'achèterait bien...
Pourvu qu'il ne devienne pas un jour comme ces "contraires" qui rôdent de groupe en groupe, insistant jusqu'à obtenir un cadeau, mangue, légume... On pourrait les prendre juste pour une petite bande d'éméchés en goguette et à la dérive mais ce sont des initiés qui ont dû choper le mauvais esprit, un esprit à la ramasse. À moins qu'ils ne soient les plus éveillés de tous. En tous cas, ils parlent à l'envers... C'est ce qu'on m'a dit en tous cas, je n'ai pas pu vérifier...
La première procession visible est celle des porteuses d'eau...
qui s'aident mutuellement pour descendre leurs bassines...
Sauf pour les virtuoses comme cette jeune fille qui pratique en solo la technique de la fontaine vivante. Chapeau mademoiselle!!!
Voilà une bonne chose de faite!!!!
De l'eau de bassines??? Pouah! Quelle horreur! Très peu pour ces deux african beauties qui ne boivent que de l'eau purifiée et filtrée en petits sachets individuels que l'on trouve partout ici. Mais tout est relatif. Nous, même cette eau ne nous tente guère. Nous ne tolérons que l'eau minérale en bouteilles fermées...
L'eau des bassines servira plutôt à étancher la soif des danseurs, qui sont tous venus avec leurs petits sacs à dos. Ils ne doivent pas être loin...
Leurs instruments sont arrivés. Mais eux, où sont-ils?
Ils sont là. Et ils commencent à chanter et danser en attendant la sortie des initiés du bois sacré, qui se fait désirer...
Dans le cercle, le coach vocal c'est Jean-Pierre. Il guide les voix et le rythme, donne le ton, lance la mélopée, impulse des variantes, aussi sérieux qu'un pape. La musique est une chose très sérieuse dans les traditions Bassari. Elle n'est jamais anodine ni faite pour distraire, mais très symbolique et codifiée avec des règles complexes. Les instruments, les danses, les chants correspondent à des évènements et des célébrations précises. Et surtout, ne chante pas et ne danse pas qui veut!
Plus de sifflets ici, comme hier et avant-hier, aujourd'hui, l'instrument rituel est la (ou le) khoré, ce bâton sculpté que les danseurs raclent avec leur baguette. Pas n'importe quel bâton. Seuls les initiés peuvent l'utiliser. L'instrument relie chaque danseur au bois sacré. Lorsqu'il le tient et en joue, il est lui-même habité par l'esprit Khoré. Dès qu'il le pose, l'esprit le déserte et il n'est plus que lui-même. Et gare aux non-initiés qui oseraient le prendre!!! Raclée assurée...
Pour l'instant, tous les danseurs sont Khoré. Car le chant reprend et se répète encore, ad libitum. Et le cercle des corps tourne et danse à l'unisson, sans se désunir, sur un rythme simple, syncopé et envoûtant...
Il n'y a pas que les corps qui dansent. Les vêtements et les accessoires se balancent à contre-temps, prolongent, amplifient et fluidifient les mouvements.
Les enfants sont sous le charme...
Et nous aussi...
Certains des danseurs ont le torse entouré par une peau de léopard. Un signe qui désigne les initiés les plus instruits.
Car il y a 2 sortes d’initiés, ceux du matin et de la forêt et ceux de l’après-midi et de la case sacrée.
Urbain fait partie du premier groupe, le plus éclairé et éveillé. Pourtant pas question de wokisme ici, je vous rassure, mais d'instruction plus poussée dans les valeurs et les rites des Bassaris. Les initiés du matin seront ensuite les plus à même de les transmettre dans leur intégralité.
Les voilà justement, les nouveaux initiés... vêtus de pagnes de raphia, tête baissée, comme absents au monde, suivant mécaniquement ceux qui les précèdent.
Plus nombreux que la veille à Ethiolo, car il y a aussi ceux d'Ebarak et d'Enissara.
Vu de près, l'absence au monde est plus flagrante, même si le premier de la file nous jette un regard en coin. Après leur nuit dans le bois sacré et l’enseignement reçu du « père caméléon », la tradition veut que l’esprit des nouveaux initiés soit vidé de tout souvenir et de toute volonté. Lorsque la procession s'arrête, certains pieds restent en l'air, comme si le souvenir du mouvement naturel lui-même avait été effacé.
L'accompagnant (Monsieur Dior ou un autre) pousse alors le pied avec sa badine pour le remettre à plat.
Toujours selon la tradition, les nouveaux initiés devront renaître une deuxième fois à la vie. En attendant, ils garderont la tête baissée pendant 2 semaines puis feront une retraite de près de deux mois en brousse. Avant d’être à nouveau présentés à leurs parents et leurs familles...
Y croient-ils eux-mêmes?
Combien de temps encore ces rites et ce fétichisme perdureront-ils ? Les Bassaris ne sont pas très nombreux, environ 15000 répartis entre le Sénégal oriental, la Gambie et la Guinée Conakry. Et une bonne partie de leur système social est construit autour de cette culture des esprits et du secret. Que se passera-t-il si tout cela disparaît???
Ce n'est pas encore d'actualité. Et la rumeur dit que nombre de Bassaris vivant ailleurs au Sénégal et non initiés, n'osent pas revenir dans leur village, de peur de se faire attaquer par les esprits...
En attendant, les jeunes continuent à tourner comme des zombies autour de la place...
... sous le regard curieux de cette princesse qui vient de faire pipi sur sa belle robe rose et ne s'en préoccupe pas le moins du monde... Qu'est-ce qu'il y a dans cette petite tête?
Et à quoi pense cette belle dame qui est peut-être la mère d'un de ces garçons?
Je ne sais pas, mais voici un court extrait trouvé sur internet sous la plume d'un ethnologue africain : " Les femmes savent donc à quoi s'en tenir et les hommes ne l'ignorent pas. Elles assument leur rôle dans le jeu du Mystère avec au moins autant d'ardeur et de conviction que les hommes, faisant tout pour qu'on croie qu'elles croient que leurs fils vont vraiment mourir et renaître autres lors des initiations et que les masques sont des génies. Elles protègent ainsi leur propre mystère qui est celui d'être femmes. Tout le système repose, en fin de compte, sur la simulation de part et d'autre, d'une mystification qu'on suppose efficace pour la rendre plus évocatrice."
Eh oui....
Voilà! Les initiés sont partis pour d'autres enseignements et sans doute un peu de nourriture, et les danseurs reprennent une dernière fois possession de la place.
Le cercle se remet en mouvement, se déforme, se reforme et chants et danse recommencent.
Certains danseurs se retournent vers l'extérieur du cercle lorsqu'ils grattent leur khoré et reprennent ensuite leur position. Toujours les mêmes je pense... sans en être tout à fait sûre. Dans ce monde de symboles, cela signifie sans doute quelque chose. Mais quoi???
D'autres s'arrêtent et quittent le cercle pour replacer une pièce de leur costume, ou enlever un caillou d'une sandale ou trifouiller dans leur sac à dos, puis réintègrent leur place rentrant naturellement et sans en avoir l'air dans le rythme des pas et des corps...
La coutume veut aussi que des spectatrices lancent des cadeaux dans le dos des danseurs, des sifflets, des bonbons et des sucettes surtout. Les enfants le savent et savent aussi qu'aucun des danseurs ne s'arrêtera pour si peu de danser. Et ils se précipitent dès la première poignée...
Belle pagaille et sacrée envolée de moineaux... sénégalais bien sûr!!!
La ronde a tourné longtemps. Les danseurs sont fatigués...
Et ils ont soif!!! Les bassines d'eau vont enfin servir!!!
La fête se termine au pied d'un des grands fromagers de la place...
Un très grand fromager...
On s'en va Henri-Claude... Ça t'a plu???
Au revoir, belle Léa! Les fêtes Bassari sont terminées, en tous cas pour nous... Mais l'aventure continue.
De retour au campement Peluun de Denis pour déjeuner, nous assistons en direct à l'incendie d'une case voisine...
Le feu paraît au premier abord en passe d'être maîtrisé...
Mais il a pris dans un toit de chaume bien sec...
... et ça ne pardonne pas... Quelques étincelles d'un soudeur qui n'a pas pris de précautions et il ne reste plus que 4 murs. Encore heureux que le feu ne se soit pas propagé!!!
La dernière ligne droite (ou presque) de ce voyage se profile...
Retour au campement Mako lundi soir. Éric et Karine ne sont pas là, mais les hérons et aigrettes si. Ils sont venus, ils sont tous là dans la héronnière. Couchés de bonne heure...
Pour nous, ce sera (bon) dîner dans la salle à manger extérieure, suivi pour moi d'un blog tardif...
Hier, grosse étape de liaison jusqu'à Kaolack... Sur une route qui réserve parfois des surprises...
Animalières, comme la vision de ce grand callao terrestre sur le bas côté. Oiseau porte malheur si on ne le fait pas s'envoler. Nous l'avons laissé tranquille (après tout, ce n'est pas pour rien qu'il s'appelle terrestre) et nous n'avons pas eu de malheurs...
En revanche, ce camion n'a pas eu de chance...
... et ces béliers ne le savent pas mais c'est leur dernier voyage. Ils roulent vers leur perte et la prochaine Tabaski!
Je ne sais pas si tout va pouvoir rentrer dans ce 7 places (le taxi collectif le plus répandu par ici). Mais avantd’y arriver, comme dirait Didier, on aura le temps de tuer un âne à coups de figues molles!!!
Départ de Kaolack ce matin pour notre dernière étape. Difficile à croire en regardant cette aigrette des récifs qui barbote si tranquillement, mais nous prenons l'avion ce soir pour Madrid (et pour Bruxelles en ce qui concerne Jean-Marc et Gabrielle). Didier reste encore un peu et rentrera à Nîmes par la route en fin de semaine...
Dernier chargement de coffre...
Dernière étape enchantée à 680 km du pays Bassari,aux Manguiers de Guéréo, où je termine ce blog pendant que les 4 autres se promènent dans une mangrove et une lagune remplies d'oiseaux (je fais un peu une overdose de blog pour ne rien vous cacher, mais je crois que le blog en a encore plus marre que moi. La preuve, il s'est auto-publié tout à l'heure alors que je n'avais pas mis le mot fin!!!!!)
Cette fois, c'est moi qui décide. Le Sénégal c'était top mais le Sénégal c'est fini!!!!
Merci Didier! Salut amis voyageurs (et future voyageuse Isabelle)! Rendez-vous en septembre au Rwanda!!!
Et d'ici là, on se retrouve sur les sentiers de la Costa Blanca...
A suivre...
Un énorme merci pour cette intrusion, immersion dans cet autre monde tellement... indéfinissable, subjugant, qui nous met en question...
Merci et bon retour ici... dans ce monde tellement. .. indéfinissable,...
J ai pris un grand plaisir à vous lire et vos photos sont splendides.